Une chose est sûre, nous y aurons goûté aux montées interminables. Pour arriver au camp de base du volcan Ijen Kowa, il faut affronter deux cols successifs : le premier à 1600m, puis redescendre à 1000m pour remonter le deuxième à 1900m. Situé à l’Est de Java, ce volcan actif est très réputé pour son lac bleu turquoise et son exploitation de soufre.
Les excursions organisées démarrent normalement à 2h du matin. Pourquoi si tôt ? Car au petit matin, vers les 4h, on peut observer un phénomène particulièrement intéressant : des flammes bleues !
Malheureusement, le parc entier a été fermé la semaine dernière car une trentaine de touristes ont été intoxiqués par des émanations violentes de soufre. Depuis deux jours, le parc est de nouveau ouvert mais ce matin, on peut démarrer la randonnée uniquement à partir de 4h jusqu’à midi. La descente vers le cratère est interdite…donc pas de flammes bleues pour nous.
Nous avons planté notre tente sur le terrain de camping qui est situé exactement au départ de la randonnée à côté du guichet pour les tickets d’entrée. Plutôt pratique, et surtout gratuit !
C’est à 3h30 que nous ouvrons les yeux, réveillés pour une fois non pas par un muezzin mais par un banal réveil de téléphone. Notre motivation et l’idée d’aller voir le sommet du volcan suffisent cependant à sortir rapidement des sacs de couchage. Après un nasi goreng matinal, nous payons l’entrée du parc, 100K IDR chacun (soit environ 8$), nous armons de nos lampes frontales et entamons la montée abrupte vers le sommet.
Notre entraînement de cols à vélo nous a bien aidé. Alors que le temps indiqué est de 1h30 pour arriver au sommet, nous arrivons au bout en à peine 1h, doublant les touristes éreintés ayant à peine le temps de cligner des yeux que nous sommes déjà loin devant au prochain virage. J’exagère à peine.
Juste avant le haut du sommet, le « Supermineur » – c’est comme ça qu’il se présente, ça sonne bien je trouve. – nous somme de prendre ses masques à gaz car soit-disant, les émanations de soufre sont particulièrement fortes ce matin. Je demande si c’est obligatoire, il me répond que oui. Bon, bon… On râle un peu car à l’entrée, personne ne nous a rien dit par rapport aux masques à gaz. Nous avions lu les règles du jour pourtant : à 1km du cratère, il suffit soit d’un masque à gaz, soit d’un tissu humide. Évidemment, nous avions opté pour la seconde solution, bien plus économique. Nous sortons deux gros billets de 50K IDR (4$ chacun) et recevons deux « magnifiques » masques à gaz aussi efficaces qu’agréables à porter. Vous l’aurez compris, nous sommes très satisfait de cet achat forcé.
Après les dernières 15 minutes de marche, nous arrivons en haut du cratère, accompagnés par les belles lumières du lever de soleil. Nous croisons les premiers porteurs/mineurs de soufre. En haut, le vent est contraire donc il n’y a aucune émanation de gaz en notre direction. Personne ne porte de masque. Nous nous sommes fait berner, littéralement. On mettra ça sur le coup du réveil du cerveau, un peu plus lent à démarrer.
Le lac est bleu turquoise et les fumées sont blanches avec des teintes jaunes-vertes. C’est absolument grandiose. Après une vingtaine de minutes d’observation, nous nous apprêtons à faire le tour du cratère quand nous croisons un français à l’air un peu rebelle qui remonte du fond du cratère. Il nous dit que ça vaut franchement le coup. C’est vrai que maintenant que nous avons les masques, autant s’en servir… Surtout que personne ne contrôle l’accès au lac du cratère, normalement interdit aux touristes. Et les mineurs dans tout ça ?
« Ils sont habitués au gaz, c’est juste déconseillé pour les touristes. » me répond un guide local. Cette réponse démontre bien le peu d’importance qu’on porte à ces gens qui inlassablement descendent dans la mine de soufre, cassent les fragments au beau milieu des fumées toxiques, et remontent jusqu’en haut du cratère avec 100kg sur l’épaule. Non, pour eux, c’est sûr, il n’y a aucun danger. Inutile de dire qu’ils portent rarement des masques. Et s’ils en ont, je doute de leur efficacité. Je crois que je n’ai jamais vu un travail aussi rude. Tout ça pour vendre le kilo de soufre à 1600 IDR, soit à peine 0.12$… Évidemment, ils font partie d’une société privée qui détient le gisement. Impossible donc de savoir réellement le salaire de leur dur labeur, mais autant dire que ce salaire ne va jamais compenser le réel coût sur leur santé, leur vie…
« On va descendre dans le cratère » me dit Kilian. Je suis d’accord, autant les utiliser, ces fameux masques. Nous descendons avec attention le chemin accidenté vers le bas du cratère, en croisant régulièrement ces sur-hommes qui, d’une marche lente mais assurée, remontent leurs sacs de soufre. Un chemin fait de marches serait beaucoup trop facile pour eux ! C’est au beau milieu d’un chaos de cailloux et de rochers instables qu’ils font leurs allers-retours.
Nous sommes en bas. Une odeur poignante de soufre nous prend le nez, puis la gorge. Il est temps de mettre les masques. Nous sentons que le gaz passe quand même à travers. Nous nous sommes fait doublement roulés. On sent qu’il ne faut pas traîner, à une dizaine de mètres des échappements du gaz toxique provenant des entrailles de la planète.
Je demande à un mineur si je peux essayer de porter son sac. Je me baisse d’abord en pliant les jambes pour glisser mon épaule sous la barre de bois. Puis j’essaye de déplier mes jambes pour me relever. Sans mon entraînement en trike, impossible même d’y penser. Je me relève avec grande difficulté, les genoux tremblants. Je suis debout ! C’est déjà un miracle.
Le chargement instable menace de tomber. Oui, il faut aussi gérer le centre de gravité de ces haltères insolites.
Je ne peux absolument pas bouger et mon épaule souffre déjà. Je repose le chargement infernal. Voilà, j’ai tenu deux secondes. Je suis encore plus sidéré maintenant, en voyant les porteurs gravir les 300m de montée verticale. Malgré tout l’entraînement qu’ils puissent avoir, leurs épaules, leurs jambes, ne s’en remettront jamais.
Une fois le soufre en haut, le travail n’est pas terminé car il faudra acheminer la roche semi-précieuse en bas du volcan. Le soufre est alors placé dans de petites charrettes. Trop facile ! Ah non en fait, car il faut retenir les lourds chariots de toutes ses forces en descente.
Nous remontons au sommet, en soufflant mais sans soufre et sans souffrances. Les vapeurs des gaz nous font tourner un peu la tête, nous sentons un goût étrange dans notre salive… Mais ce n’est rien, seulement 10 minutes au niveau du lac. Rien par rapport à 6h par jour dans cet environnement hostile pour les mineurs.
Mais vous comprenez…ils sont habitués…
4 Comments on “Indonésie – Volcan Ijen : le soufre et la souffrance”
Fabuleux, à peine croyable… un mauvais jeu de mot pour décontracter l’atmosphère… Bas les masques !
Hello bikers 👍
J’ai vu un documentaire sur cet esclavagisme « moderne », terrible 😟
J’avais oublié combien le souffre est lourd sans son petit bâton ❗️
Bonne continuation ✌️
Hello les frangins ! ça fait rêver ces images et histoires… j’espère que vous pourrez aller voir les Oran Outangs, faites leur une bise de ma part 😉
Bravo les gars! J’ai vu plusieurs reportage sur ces mineurs de souffre. Scandaleux ces compagnies privées qui exploitent la misère des pauvres et la santé des travailleurs. La résilience de ces mineurs est phénoménale!