Ce matin, en partant de Chumphon en Thaïlande, j’avais un mauvais pressentiment.
On est arrivé dans cette ville deux jours auparavant et j’ai dû faire un repos forcé d’un jour à cause d’une douleur assez forte au niveau du genou droit. Aujourd’hui, on doit rejoindre Arlen qui se pavane sur une île sur la côte Ouest de la Thaïlande.
Les premiers kilomètres sont difficiles, je compense avec la jambe gauche et roule beaucoup plus lentement qu’à mon habitude. J’ai un peu peur pour la suite car les douleurs à la jambe droite sont assez récurrentes… Quelle horreur de penser que le voyage pourrait s’arrêter à cause de ça…
De plus, je sens que Firmin trépigne derrière moi. Ce n’est qu’un ressenti car jamais il ne m’a fait part d’une quelconque impatience. De toute façon, le rythme entre un trike et un vélo est complètement différent, le trike étant naturellement plus lourd, les montées se font à vitesse réduite. Dans les grandes descentes, la tendance s’inverse, grâce encore au poids et à l’aérodynamique du trike.
Le fait est là, je me sens handicapé et surtout handicapant. Après une heure de souffrance et de bataille mentale, je demande une pause.
D’un commun accord, on décide que Firmin prenne de l’avance et qu’il m’attende après une demi-heure de route en solo. Ainsi, chacun peut aller à son rythme. Firmin disparait derrière la première côte, il est temps de redonner quelques coups de pédales. Au bout d’une minute à peine, un jeune thaï en scooter me dépasse et s’arrête juste devant moi sur le bas coté. En arrivant à son niveau, je le salue de la main, comme d’habitude. Il ne me fait pas clairement de signe mais intérieurement, je sens que je dois m’arrêter.
Il me tend deux sacs plastiques.
« For you, my friend » me dit-il dans un anglais à peine compréhensible mais d’une voix incroyablement sympathique.
Il s’agit de 2 kg de bananes ainsi que des bouteilles d’eau et de Pepsi bien fraîches. Je le remercie en prenant les sacs. Je me lève de mon trike pour pouvoir plus facilement discuter avec ce gentil personnage. Mais c’est déjà trop tard, il est reparti !
Je n’en reviens pas. Oui c’est simplement des bananes et des boissons mais à ce moment précis je suis effondré par cet acte généreux et gratuit. Ce n’est pas quelque chose de nouveau et cela arrive régulièrement sur la route mais aujourd’hui, particulièrement à ce moment précis, c’est exactement ce qu’il me fallait. Cela déclenche en moi une multitude d’émotions incontrôlables. Je ne pense plus du tout à ma jambe qui me faisait défaut. Je suis tellement heureux et touché que je voudrais retrouver ce scootériste et le serrer dans mes bras.
Les voitures me klaxonnent, les gens me saluent à grand cris, encore une fois cela n’est pas tellement différent de l’habitude mais je ressens des fluctuations d’énergie supplémentaires. Je me nourris de ces encouragements. Je ris à haute voix et de l’extérieur, on pourrait clairement m’attribuer des signes de folie…
Dans cet état de jubilation, je vois au loin des femmes et des hommes qui sont en train de goudronner la future route sous la fournaise de midi. Instinctivement, je m’arrête et reproduis l’acte de mon scootériste en leur donnant les bouteilles d’eau et de Pepsi. Sans attendre une quelconque reconnaissance de leur part, je remonte sur mon trike et repars, à la manière de mon sauveur scootériste. J’ai reçu et maintenant j’ai donné…
À peine 5 minutes plus tard, une femme en scooter s’est arrêtée devant moi (encore !?) et m’a donné des bananes (ce qui fait un total de 3kg de bananes dans mes sacoches) et une papaye succulente. Cette fois, j’ai dégainé mon téléphone le plus vite possible pour saisir ce moment qui présente tous les types de bananes.
Que retenir de cette expérience ? J’ai envie de répondre plein de banalités et phrases bateau du genre « Recevoir c’est bien, donner c’est mieux« . Voilà, c’est chose faite.
Plus sérieusement : en voyage à vélo, on a la chance, en plus de voir des paysages magnifiques, de vivre des moments magiques avec les locaux, aussi fugaces qu’ils soient. On a tendance à recevoir beaucoup, beaucoup… et j’ai toujours l’impression de donner très peu en retour. Aujourd’hui, en ayant eu le statut de donneur, j’ai senti la puissance intérieure découlant de ce geste et j’ai compris qu’il n’y a pas forcément besoin de ce retour. Peut-être qu’un merci sincère, un rire, un sourire est déjà un retour suffisant ?
En donnant ces bouteilles, j’ai juste eu le temps de voir se dessiner sur les visages la même expression de surprise puis de bonheur que j’ai eue quand moi-même j’ai reçu quelques minutes auparavant. J’ai emmagasiné leurs sourires et cette journée, j’ai pédalé 130km, sans plus ressentir de douleur.
4 Comments on “Recevoir et donner…la banane”
Oh Rob si tu savais comme tu sais bien donner.. J’en ai encore eu la preuve récemment et je pense que ce voyage t’a donné cette dimension humaine que nous perdons tous dans le quotidien…. Je revois ce texte avec bonheur et te dis un grand Merci de gratitude à défaut de bananes!
Et bien mon ami Robin tu grandi chaque jour un peu plus dans la compréhension de la vie… Bravo oui le partage dans l’égalité.
Magnifique, vous ne reviendrez plus comme avant ce voyage, ne pas laisser le temps effacer ces sensations de partage !
Hé oui, on appelle ça donner au suivant! Quoi de plus gratifiant que de rendre service à son prochain!