S’il faut mettre une étiquette à cette merveilleuse journée de route, je dirais sans hésiter : « 3 pauvres petites choses au milieu de grands malades »
Laissez-moi vous expliquer.
Dès le petit matin, alors que nous avons en tête de rejoindre Tabriz, deuxième ville du pays et située encore à plus de 100 km de nous, nous faisons la connaissance de Cretinus 1er.
Alors que nous roulons en file indienne dans la bande d’arrêt d’urgence de la route, un individu à moto à moitié écervelé accélère dans notre direction, lui aussi dans la bande d’arrêt d’urgence. Je ne le vois qu’au dernier moment, dans mon rétroviseur que j’ai eu la grande présence d’esprit d’acheter il y a quelques semaines, en Turquie. A peine le temps de comprendre ce qu’il se passe que WWWWOUUUF !, la moto décroche de la bande pour nous éviter de justesse, volontairement bien entendu. Ohlala, le petit kangourou en peluche chargé de surveiller la route, accroché à ma sacoche arrière gauche, n’arrive pas à éviter le motard. Heureusement pour lui, j’ai pris soin de solidement l’attacher à ma sacoche après qu’il se soit arraché suite à ma rencontre incongrue avec un poteau de bois, quelques semaines auparavant.
Le motard nous « double » donc en nous frôlant, l’accélérateur à fond, et le moteur à la limite du rupteur. Tout cela pour se rabattre juste devant Arlen, qui ouvre la marche de notre lent convoi. Extrêmement fier de sa prouesse technique et neuronale, il retourne la tête en nous affichant un énorme sourire (le casque semble être parfaitement ringard, autant ne pas en mettre, non ?). En retour, une fois la surprise passée, nous lui envoyons quelques fleurs verbales, que je ne citerai pas ici de peur de choquer certaines sensibilités, ainsi que quelques gestes de la main qui devraient être interprétables de façon internationale.
J’ai encore le cœur qui bat la chamade, conscient d’avoir été frôlé par un boulet de canon qui aurait été incapable d’éviter l’accident en cas de moindre changement de trajectoire d’un de nous trois, ce qui arrive régulièrement afin d’éviter un caillou, par exemple.
Remis de nos émotions, nous continuons notre route tranquillement pour tomber quelques centaines de mètres plus loin sur… OH ! Quelle surprise ! Notre cher ami motard !
« C’est lui ? », demande Arlen.
« C’est cette tête de con, oui. »
Il nous attend sur le bord de la route, toujours un énorme sourire au lèvre. Au moins, il y en a qui ont du cran ! Une fois à sa hauteur, nous quittons la route, et Arlen est le premier à jaillir de sa monture.
Je passe volontiers les détails de la conversation cordiale qui suit, si vous me le permettez. Cependant, afin de rassurer tout le monde, je tiens à préciser que seul l’usage de la parole aura été de mise.
Nous laissons notre cher ami un peu sonné au bord de la route pour reprendre notre chemin, encore bouillonnants de colère.
A midi, nous sommes interpellés à Marand, une ville paradoxalement un peu grise et tristounette, par un jeune homme à pied qui agite les bras. Des jeunes qui agitent les bras en nous lançant des « hello my friend ! », on croise tous les 30 mètres, et tous veulent nous arrêter pour discuter et nous offrir le thé. C’est débordant de gentillesse à chaque fois, mais c’est évidemment impossible pour nous de nous arrêter à tous les coups. Ce jeune homme-là, par contre, nous lance un mot qui capte immédiatement notre attention et qui nous oblige à nous arrêter : « Warmshowers ! »
Nous passons 3 heures avec lui en ville. Membre de Warmshowers, cette communauté de cyclotouristes qui s’hébergent entre eux à la façon de Couchsurfing, il a accueilli chez lui plus de 100 voyageurs à vélo, dont certains que nous reconnaissons sur ses photos pour les avoir croisés plus tôt dans notre voyage. Malheureusement, nous ne serons pas ses invités, puisqu’il nous reste encore 70 km à faire jusqu’à Tabriz.
Si les 50 premiers kilomètres passent tout seul malgré la chaleur et les gaz d’échappement qui commencent à nous faire suffoquer, les derniers 20 kilomètres seront probablement les plus éprouvants du voyage.
Nous sommes habitués depuis quelques semaines à rouler sur des grosses routes nationales, afin d’arriver au plus tôt à Téhéran. Normalement, le trafic est contenu, et les gens s’écartent courtoisement en nous klaxonnant ou nous saluant. Mais là…
Nous sommes trois petites choses au milieu de grands malades. Ça klaxonne de partout, les gens se déportent de leur voie pour nous observer de plus près, oubliant absolument toute règle de conduite élémentaire lors de l’opération… Les enfants sortent tous en même temps la tête ou le buste par la fenêtre, sous les encouragements de leurs parents, soucieux de s’approcher de nous au maximum pour bien réussir leur photo.
Voilà la scène type, vécue probablement 50 fois en l’espace de quelques kilomètres:
- Cretinus II roule avec ses 5 enfants et sa femme dans sa vieille voiture fumante, sur la voie de gauche.
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Il aperçoit 3 drôles de cyclistes roulant sur la bande d’arrêt d’urgence. Tiens, mais pourquoi ne pas traverser la double voie pour aller se coincer juste derrière ?
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Puisqu’il était déjà entrain jouer sur son téléphone au volant, hop ! il ouvre en moins de temps qu’il ne faut pour le dire son application caméra pour commencer à nous filmer en se tortillant à travers la fenêtre, une main qui contrôle encore vaguement sa direction.
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Puisque ces cyclistes ont l’air si sympa, pourquoi ne pas enfoncer le Klaxon en continu pendant 10 secondes afin de leur exprimer joie, bienvenue, et fraternité ?
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Après avoir bien collé le convoi de cyclistes à 50 centimètres, tentons un meilleur angle de vue pour filmer ! Cretinus II déboite alors allègrement – sans regarder ce qui arrive derrière bien entendu – et vient se coller à nous en continuant à klaxonner, ce qui a pour effet de couvrir les cris de enfants qui beuglent à tue-tête dans notre direction en tendant les bras à travers la fenêtre.
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« Mais casse-toi avec ta p**** de caisse ! Et lâche ta con***ie de p**** de ch**** de téléphone pour regarder la route, espèce de c**** ! » Tiens ? Mais que veulent bien dire ces sympathiques petites cyclistes ? Et pourquoi celui-là essaie-t-il de frapper la carrosserie avec son bâton métallique ? Que c’est rigolo !
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Allez, encore un dernier petit angle de vue ! La voiture accélère pour nous doubler, quitte brusquement la voie pour se rabattre juste devant nous en freinant, afin de nous voir de plus près. Au moins, nos petits signes courtois de la main seront nets sur la photo !
Voilà, ceci à répétition pendant près d’une heure et demie, on est au bord de la crise de nerf, on finit par hurler sur tout le monde et taper sur la moindre moto qui tente de nous doubler par la droite, par les 40 centimètres qui nous séparent du trottoir.
C’est épuisant, on a l’impression qu’on va se faire shooter à chaque voiture, nos tympans sont explosés par les Klaxons en continu.
La délivrance arrive en fin de journée, lorsque nous débarquons dans un camping au gazon verdoyant et à l’abri des bruits de la route, bien que situé en pleine ville.
La journée se termine dans un minuscule restaurant avec le propriétaire du camping, qui nous explique qu’il vient de passer 2 heures dans les bouchons suite à un accident à l’entrée de la ville qui a fait plusieurs morts et blessés.
Un ami iranien m’avait dit « Tu verras, c’est les pires chauffards du monde. Selon une statistique d’il y a quelques années, l’Iran détient le triste record du nombre de morts sur la route par habitants. Je suis navré que vous ayez à supporter ça. »
Voilà. C’est triste, mais c’est comme ça. L’Iran est un pays jusque-là magnifique à nos yeux, avec des habitants le cœur sur la main et que nous porterons longtemps dans nos cœurs, nous aussi… tant qu’ils laissent leur saloperie de voiture au garage.
One Comment on “Le vélo et les conducteurs iraniens”
Merde, c’Est dommage!!! J’ai pourtant suivi de nombreux Blogs où les cyclistes vantaient le plaisir de rouler en Iran et l’accueil chaleureux de ses habitants. N’étiez-vous pas sur un artère trop important impossible à contourner par des routes de campagnes?.