Ascension du Mont Lengaï…aïe…aïe…

RobinHBW East AfricaLeave a Comment

Après avoir cumulé la fatigue des 10 derniers jours à vélo sans interruption depuis le port de Mwanza, nous avons décidé de nous reposer à Karatu pour une journée. Mais l’appel de la montagne a été trop fort et nous avons organisé une excursion pour gravir le Mt Lengaï, la « Montagne des Dieux » qui culmine à 2960m. C’est le seul volcan en activité au monde qui émet une lave de natrocarbonatite. Pour le commun des mortels, cela ne signifie pas grand chose mais pour les volcanophiles, c’est définitivement un incontournable. La différence avec d’autres volcans est que la lave produite est noire.

La randonnée se fait en un jour depuis la base, ou plutôt en une nuit car la marche est bien nocturne, pour plusieurs raisons : éviter la chaleur pendant la journée et profiter d’un lever de soleil magique.

Frais pour la randonnée

12h
Notre expédition commence donc depuis Karatu où nous partons vers midi en 4×4 de safari (Land Rover pour les connaisseurs) accompagnés de Jambo, notre chauffeur, ainsi que d’Issa, notre chef cuistot d’Agama Tours (https://www.agamatours.com). Nous laissons nos vélos et tout le matériel inutile dans la guesthouse où nous logeons à Karatu. Ce même logement est tellement bon marché (4$ la nuit) que nous décidons de payer la nuit uniquement pour garder nos affaires en sécurité.

16h30
Après un peu plus de 4h de pistes parfois mauvaises (quoique praticables dans la majorité à vélo), nous atteignons notre camping où nous plantons notre tente. Heureusement qu’il y a quelques arbres avec de l’ombre car la zone est désertique et le soleil brulant. Nous aurions pu venir ici à vélo mais aurions pris 2 jours à l’aller puis encore 2 jours après la randonnée pour revenir. Nous manquons plus de temps que de motivation, surtout que la piste traverse des petits villages Masaï et des paysages spectaculaires. En chemin, nous avons d’ailleurs fait la rencontre de Pierre, un cyclotouriste belge qui roulait sur cette même piste en direction d’Arusha.

Pierre, cyclotourisme belge

Nous observons notre volcan. Il est aussi impressionnant que terrifiant. Sa forme conique est iconique. La partie du haut paraît presque verticale. Nous commençons même à douter du succès de notre future tentative d’ascension jusqu’au sommet.

Nous approchons du Lengaï

19h30
Nous faisons la sieste dans notre tente jusqu’à 19h30 puis prenons un excellent repas cuisiné par Issa (une bonne soupe, du poulet, des pommes de terre, du riz, des légumes). À 20h30, nous nous recouchons pour prendre le maximum de forces. Je vise un cycle de sommeil complet.

Notre camp

22h45
Le réveil sonne. On est un peu dans les vapes mais il faut préparer le matériel rapidement car Dennis notre guide masaï veut que l’on parte à 23h pile. Il fait encore incroyablement chaud au camp de base mais après s’être un peu renseigné sur la randonnée, nous savons qu’il faut prendre des vêtements chaud. Nous avons un t-shirt thermique et un manteau que nous gardons dans le sac à dos. Nous n’avons évidemment ni chaussures ni sac de randonnée étant à vélo. Nous prions que nos chaussures de trail running soient suffisantes. Jambo m’a trouvé un sac à dos qui, même s’il ressemble plus à un sac d’école que de randonnée, fera l’affaire. Nous louons également des bâtons de randonnée, qui se révéleront être quasi-indispensables pour la descente. Nous prenons nos lampes frontales Décathlon premier prix dont l’autonomie n’a jamais été vérifiée. Espérons seulement qu’elles ne s’éteignent pas au milieu de la randonnée. Le temps d’un café, et hop nous sautons dans la voiture pour 40 minutes de piste jusqu’au pied du volcan.

00h17
La voiture s’arrête. C’est le départ pour la longue marche. Dennis ouvre la voie. Il a le pas sûr et impose un rythme soutenu mais soutenable.

01h15
Nous rattrapons un premier touriste (déjà épuisé) avec son guide. Nous ne le savons pas encore mais ce sera la dernière fois que nous le verrons car celui-ci a préféré faire demi-tour à mi-chemin.

01h30
Première pause de 10 minutes. Nous sommes en compagnie d’un touriste californien et de son guide que nous avons rattrapé. C’est un professeur de géologie. Il est plutôt âgé, j’imagine proche des 70 ans. Nous sommes impressionnés par sa forme physique car la randonnée est tout sauf facile. Sa présence nous rassure aussi car au final, nous serons les 3 seuls touristes à gravir ce sommet cette nuit là. Lors des pauses, nous éteignons nos lampes frontales pour économiser la batterie.

3h00
Deuxième pause, de 20 minutes cette fois. La pente devient de plus en plus raide. Parfois, nous passons dans des canyons creusés par la pluie, parfois, nous devons escalader des blocs d’anciennes coulées de lave, parfois, nous avançons sur du sable noir. Dennis s’arrête parfois pour sonder le chemin de sa lampe frontale afin de trouver la meilleure des options.

4h20
Troisième pause, de 30 minutes cette fois. Dennis s’endort en 2 minutes à peine. Sarah et moi n’arrivons pas à nous endormir. Je regarde le ciel étoilé au dessus de nos têtes et le spectacle orageux au loin ou d’immense éclairs illuminent l’horizon à travers les nuages. Je prie intérieurement que cet orage ne nous arrive pas dessus. Le vent souffle. Heureusement, nous avons prévu un t-shirt thermique de rechange que nous enfilons à chaque pause. Le t-shirt que nous avons lors de la montée est effectivement trempé de sueur dans le dos qui se refroidit vite lors des pauses. Cette technique nous permet de rester au chaud. Le plus dur, c’est le moment de la reprise où nous devons remettre ce t-shirt glacé.

Pause avec belle vue sur les étoiles

5h30
Nous atteignons la zone la plus difficile de la randonnée. Une paroi rocheuse très inclinée où il n’y a plus que de petites prises pour les pieds. Sarah me demande comment on va faire pour redescendre. Je lui dis de se concentrer uniquement sur la montée et que ça va bien se passer pour la rassurer, même si cette même question me taraude également l’esprit. Heureusement, nos chaussures de course à pieds, même si elles n’ont pas été conçues pour les randonnées de montagne, semblent très bien tenir sur la roche volcanique.

6h00
Nous marchons horizontalement dans une cassure formée par la dernière éruption d’il y a une dizaine d’année. Nous passons à coté de fissures volcaniques d’où émanent des fumées sulfureuses. En mettant notre main, nous ressentons la chaleur du centre de la Terre. Quelle expérience !

La noirceur de la nuit laisse peu à peu sa place aux premières rougeurs de l’aube. Le sommet est juste là, devant nous. Plus que dix secondes puis 5, 4, 3, 2, 1… Et nous voyons l’horizon rouge orangé qui apparait devant nous. Nous atteignons l’arrête sommitale. Le vent est plutôt fort et nous avons le choix entre tomber dans le cratère ou dans les pentes vertigineuses que nous venons de gravir. Un troisième choix s’offre à nous : essayer de garder l’équilibre en marchant les jambes écartées. Dennis nous montre quelque chose dans le cratère. Nous voyons la lave bouillonner à travers une cheminée. Elle est d’un rouge brillant. Lorsque le jour sera totalement levé, cette lave apparaitra complémente noire. Au loin, nous pouvons voir très clairement le Kilimanjaro et le Meru, respectivement à 5895m et 4566m d’altitude. Quelle joie ! Nous sommes comme dans un rêve, nous oublions notre manque de sommeil et nos muscles qui envoient pourtant des signaux de détresse à notre cerveau

Vue sur le Meru et le Kilimanjaro
De la lave rouge à travers la cheminée !
Heureux !
Avec Dennis sans qui on ne serait pas là

06h30
Après une courte pause et l’exaltation d’être arrivés jusqu’au sommet, c’est le moment de redescendre. La première heure de descente est la pire d’un point de vue technique. Nous devons redescendre sur la paroi la plus pentue et devons faire bien attention à ne pas glisser. Là encore, nos chaussures font bien le travail. Chacun prend ses appuis et adopte sa propre technique. Sarah tente la technique du toboggan qui s’est révélée être moyennement satisfaisante à la vue des trous au niveau de ses fesses dans son legging. La roche volcanique ne pardonne pas.

On entame la descente
Sarah à coté d’une faille fumante
La zone la plus difficile de l’ascension
Technique du toboggan

08h00
Le soleil éclaire la vallée est nous découvrons enfin le paysage qui nous entoure. Le bas du volcan parait si proche ! Et pourtant il nous reste encore de longues heures de marche. Nos jambes souffrent et le manque de sommeil commence sérieusement à se faire sentir.

09h00
Sarah peine de plus en plus à plier les genoux au point qu’il devient impossible pour elle de descendre la moindre marche sans devoir s’asseoir.

10h00
La situation devient délicate. Sarah n’arrive plus du tout à marcher sans aide. Je lui donne mon épaule pour qu’elle puisse s’appuyer dessus. Mais le terrain est encore extrêmement difficile et parfois je ne peux moi-même pas tenir sans glisser. L’arrivée ne semble jamais s’approcher. Dans ma tête, j’étudie toutes les options : ici, nous sommes seuls et devons nous débrouiller car notre guide n’a pas de radio pour appeler l’extérieur et il n’y a pas de réseau téléphonique dans cette zone reculée. Nous devons donc continuer à tout prix et ne pas s’arrêter car il serait alors encore plus difficile de se remettre en route. Nous voyons le pied du volcan mais celui-ci ne semble jamais s’approcher. Cette situation est assez stressante. J’essaye de rassurer Sarah qui s’en veut de ralentir notre groupe et qui ne voit pas le bout arriver. Je lui dis qu’on approche du but même si avec ma fatigue, je commence à douter sur notre chance d’arriver au bout. Il n’y a pas d’autre choix. Il faut avancer.

11h00
Le soleil dépasse notre volcan et nous regrettons bien vite la nuit et sa douceur. Nous brûlons littéralement. Avec Dennis, nous tentons de porter Sarah mais le chemin est bien trop étroit et difficiles pour que la méthode fonctionne réellement. Nous avons trouvé une technique qui semble fonctionner. Je sers de déambulateur à Sarah en me mettant devant elle. Elle appuie de toutes ses forces sur mes épaules pour éviter de mettre du poids sur ses jambes qui ne peuvent plus tenir son propre poids. L’expression « être sur les rotules » prend tout son sens.

La descente interminable
Plus que quelques centaines de mètres… A coté de la coulée de lave de 2006

12h00
La fin (de la randonnée) est proche ! Il est grand temps car mes jambes commencent elles aussi à me lâcher car je dois porter mon poids ainsi que celui de Sarah sur mes quadriceps endoloris, en essayant d’amortir au maximum les mouvements pour ne pas que Sarah fasse de faux mouvement. Le cerveau commence aussi à lâcher après cette nuit blanche. J’ai juste envie de m’allonger et dormir.

12h17
Nous atteignons la porte de la voiture, après très exactement 12h de marche. Une photo pour marquer le coup et nous nous hissons difficilement dans la voiture. Ça y est, c’est fini ! On peut enfin dire qu’on l’a fait !

Fini ! Nous avons réussi

Epilogue
En terme sportif, cette sortie aura été une des choses les plus intenses de notre vie. J’ai écris ce résumé le lendemain de cette ascension, et nos jambes sont encore raides comme des bâtons. Un bon nombre de randonneurs s’accordent à dire que cette randonnée est plus difficile que le Mont Kilimanjaro. N’ayant pas gravi ce dernier, je ne peux pas l’affirmer mais vu la difficulté du Mt Lengaï, je ne peux qu’y croire. Ne pas prendre les vélos a été finalement le bon choix car nous n’aurions jamais pu rentrer juste après cette randonnée et aurions été bloqué dans cette zone aride, sans accès facile à l’eau et nourriture. 

Je pense que nous nous souviendrons toute notre vie de cette aventure : la rencontre terrifiante du Lengaï en arrivant à son pied, l’ascension de nuit toujours plus verticale et vertigineuse, l’exaltation au sommet lors du lever de soleil, observer, entendre et ressentir l’activité volcanique qui nous relie aux plus profondes entrailles de la Terre. Et puis la descente, aussi magnifique que douloureuse et interminable. 

Nous dédicaçons cette ascension à Julie et François, deux mordus de volcans qui nous ont donné l’idée de le gravir. Nos jambes par contre ne vous remercient pas.

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